Le cinéma dit commercial peut-il faire preuve d'une conscience sociale, et transmettre un message qui dépasse la simple stratégie marketing, et ainsi questionner la société contemporaine ?
Voilà une vaste question qui semble se poser au cinéma de langue hindi, plus communément appelé cinéma de Bollywood, en ce début de XXIe siècle. Il faut d'abord savoir que le cinéma hindi ne s'est pas toujours contenté de produire des bluettes sentimentales pour lequel il est connu en Occident. En effet, dans les années cinquante le cinéma issu des studios de Bombay savait faire preuve d'une conscience sociale à travers des films comme Mother India ou Andaz qui se penchaient sur le fonctionnement socio-économique de cette toute jeune république démocratique. Puis dans les années 70 à travers la figure du "jeune homme en colère", incarnée par Amitabh Bachchan, le cinéma hindi a reflété les colères et les angoisses de toute une génération face à la pauvreté, à la corruption et au conservatisme d'une société qui a la "dictature" sous Indira Gandhi. S'en suivit une période de régression sociale dans les années 80, et de retour à un conservatisme moral conjugué avec une apologie du capitalisme et du matérialisme dans les années 90 à travers le succès de films comme "Hum Aapke Hain Kaun" ou "Kuch Kuch Hota Hai". Ce n'est qu'au début des années 2000 avec le succès de films comme Laagan ou Dil Chahta Hai que le cinéma hindi a semblé se souvenir du questionnement social de ses débuts.
Si je parle de ce problème, c'est que hier soir, j'ai regardé avec mon amie Charlotte un film qui pose justement cette question sur les rapports entre cinéma commercial indien et conscience sociale. Le film en question "Chak de India" est produit par une maison de production, Yash Raj, connue pour produire des films d'action et des films sentimentaux ayant pour but unique de divertir le spectateur, et de lui permettre de s'évader des problèmes contemporains de la société indienne (exception faite de quelques films abordant le terrorisme au Kashmir ou les tensions Indo-Pakistanaises). Or Chak de India est bien le contraire de la production typique de Bollywood représentée par Yash Raj : c'est un film sans danse, sans histoire d'amour, totalement dépourvu de glamour, avec une seule star entourée d'inconnue. Mais encore plus que cela, le film arrive à parler de la difficulté pour un musulman d'être accepté comme Indien à part entière, des tensions communautaires et sociales qui divisent société Indienne, et la place des femmes dans la société indienne, tout cela à travers l'histoire d'une équipe de hockey, autrefois sport national, maintenant oublié du fait de l'obsession nationale pour le cricket. Comme cela sur le papier, le film était destiné à faire un gros flop.
Et bien, ce fut tout le contraire ! Cette histoire d'un ancien joueur de hockey, vilipendé et mis au ban pour avoir commis le "crime" de perdre un penalty contre l'équipe du Pakistan alors qu'il est musulman, et qui va regagner son honneur en menant à la victoire suprême une équipe de 16 jeunes filles incontrôlables et égocentriques que tout sépare (la langue, la classe, l'origine géographique et "ethnique", et même la couleur de peau), a été un des plus grands succès de l'année en Inde. Comme cela, sans que personne ne voit rien venir, une majorité de spectateurs Indiens s'est reconnu dans cette histoire, l'histoire d' "underdogs" qui parviennent à surmonter leurs différences pour travailler ensemble et avancer vers un but commun. Après tout, c'est l'histoire de l'Inde même que de réussir à faire travailler ensemble des gens de régions, de castes, de langues et de religions différentes, et à les unir sous une même bannière. Je pense que le film a fonctionné parce qu'il rappelle à tout Indien ce qui l'unit aux autre, une certaine idée de l'Inde, faîte de tolérance religieuse et d'acceptation des différence, et une capacité à dépasser les intérêts personnels, sans compte le message très "féministe" du film, qui permet de montrer des personnages féminins ni glamour, ni cantonnées à tombées amoureuses du héros, ni potiches, mais avec chacune un caractère bien trempé et une grande volonté de s'en sortir. Ce sont des filles "ordinaires", et pourtant extraordinaires par leur désir de vivre pour elles-mêmes, de décider de leur destin.
lundi, novembre 26, 2007
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