jeudi, décembre 13, 2007

La mafia russe, ses ombres et ses drames intimes

On ne peut imaginer de films plus différents à tous égards que Eastern Promises de David Cronenberg et We own the night de James Gray, sortis presque au même moment sur les écrans français. Ces deux films partent du même point : un drame familial dans le milieu de la mafia russe. Tous deux posent également la même question du rapport de l'individu à la communauté, et l'illusion qu'on peut en fin de compte faire partie d'une "famille". La communauté, et à une échelle plus intime la famille, ne sont que des constructions fort fragiles que l'homme se crée pour pouvoir nier le néant de son existence, le néant de la mort, auquel nous sommes tous destinés, ce que nous rappellent aussi les deux films. Pourtant, si les deux films sont fondés sur les mêmes questionnements, et prennent la forme d'une tragédie familiale ou d'une tragédie de la filiation, on ne peut que constater le gouffre métaphysique qui les sépare. Ce gouffre se trouve dans le traitement cinématographique et le ton si différents des films de Cronenberg. En regardant Eastern Promises, je me suis surprise à rire plus d'une fois, et à me demander dans quel genre de film j'avais bien pu embarquer. Le traitement de l'histoire est un traitement par l'absurde, d'où la gêne du spectateur face au spectacle qui lui est offert. Car le regard du réalisateur sur ses personnage est froid et distancié, et quelque peu cruel, mais surtout très ironique. Cronenberg observe ses personnages se débattre avec un sourire digne de Richard III : "I can smile and murder while I smile", semble nous dire le réalisateur. La vie est un objet absurde, qui n'a aucun sens, et dans lequel aucune rédemption n'est possible.
A l'inverse, James Gray a une vision très fataliste, et très russe, de l'existence. Nous sommes des êtres voués à mourir, et sur ce long chemin de croix vers la mort, nous sommes seuls, irrémédiablement seuls. Ce n'est pas d'une franche gaieté. D'ailleurs, c'est dans la lignée des films précédents de James Gray. Son obsession d'auteur est de décrire un monde crépusculaire dont l'homme est prisonnier, sans possibilité de rédemption, puisque celle-ci est souvent un cadeau empoisonner. Le personnage de Joaquin Phoenix rentre dans le droit de chemin, passe du mal au bien, mais perd tout ce qui faisait le bonheur de son existence. A la fin du film, c'est un homme brisé, et dévitalisé qui est présenté au spectateur. Pourtant, on a l'impression que cette fin était inévitable, car le bonheur chez Gray est condamné encore plus durement que le crime. L'homme n'a pas le droit au bonheur, il doit souffrir, c'est là le seul sens de son existence.