mardi, mai 19, 2009

Pensées dans l'Eurostar

Je suis dans l'Eurostar pour Londres, et le train vient de quitter la proche banlieue pour avancer plus au nord, à travers les plaines et les champs du bassin parisien. Quand on demandait à François Mitterrand de quelle couleur était la France selon lui, il répondait qu'elle était grise. Mais personnellement, elle me semble plutôt vert émeraude, tachetée de reflets jaunes, briques et bruns. Prendre le train est tellement plus une aventure que l'avion, parce qu'en avion on ne fait que survoler le monde, alors qu'en train on le pénètre. On a le temps d'observer les changements des couleurs, les morphologies des paysages, l'exploitation des ressources naturelles.

Quand je regarde les paysages défilant sous mes yeux, la France me donne le sentiment d'être petite et jolie. Avec ses charmantes petites maisons aux toits en ardoise noires comme le jais ou en briques vermillon. D'une grande douceur. Toujours jolie malgré son grand âge, une vieille dame aux allures de jeune fille, comme si le temps n'avait pas de prise. Et pourtant dans ce pays aux paysages si paisibles tant de guerres, de révoltes et autres révolutions se sont produites au cours de sa longue histoire. Entre continuité et rupture, le flux de l'existence de cette vieille dame a connu bien des variations, bien des dissonances venant troubler l'harmonie de ses contours. Cette harmonie et cette douceur se retrouve dans l'architecture française, notamment à son apogée de l'âge classique, de ce qu'on appelle le siècle de Louis XIV. On ne retrouve pas dans cette architecture la tentative du grandiose et de la démesure qu'on l'on peut voir dans d'autres pays comme l'Angleterre. Non, l'esprit français se caractérise par une recherche constante d'une élégance toute cartésienne, faite de rigueur et de mesure. Versailles en est l'exemple type, un palais royal qui garde le nom de château, comme par modestie. C'est toute la différence entre Louis XIV et Napoléon III, entre le château royal et le palais de l'empire ou de la république.  Rien de lourd, de vulgaire, mais une splendeur toute raisonnable, réfléchie, et rigoureuse. Luxe, calme et volupté, comme dirait Beaudelaire. C'est au fond un idéal bien français, qui attire tant de personnes du monde entier. Imité bien qu'inimitable, Versailles se dresse comme une incarnation de la pensée cartésienne, dominant la nature inhospitalière des marais pour créer un miracle de pierre, d'eaux et de verdure. Dominer la nature, l'arraisonner pour en extraire un triomphe de la pensée française. C'est peut-être le legs de la France au monde, l'amour de la pensée, mais une pensée légère...

lundi, mars 30, 2009

Les maux du printemps

Qui n'aime pas le retour du printemps ? La réponse est simple : les allergiques. En effet, les personnes souffrant d'allergies liées au pollen vont diront que le printemps est une saison très douloureuse à vivre pour eux, et je sais de quoi je parle, puisque j'en fais partie. Cela a commencé il y a cinq ans environ, au mois d'avril. Je souffrais d'un énorme rhume dont je n'arrivais pas à me débarrasser quand je suis allée à la pharmacie pour demander des conseils et acheter des médicaments. Et là la pharmacienne m'a suggéré que la cause possible de ma maladie était sans doute d'origine allergique. Je suis donc allée voir un allergologue, et après des tests, j'ai appris que j'étais allergique au pollen de bouleau et de châtaignier. Mes allergies ne disparaissant pas et devenant assez handicapante, je décidai un année après ma première visite de commencer un traitement de désensibilisation. Ce fut une très bonne idée, car ces maudits pollens de bouleau étant particulièrement agressifs, sans désensibilisation et sans traitement anti-allergique, j'aurai pu me retrouver à l'hôpital dans certains cas. D'année en année les choses s'améliorent, mais reste tout de même que le mois d'avril est un moment vraiment difficile pour moi, car je suis toujours sous l'emprise de ces allergies. Au début, c'était vraiment violent, un peu comme avoir la grippe pendant un mois entier. Maintenant, je suis très peu enrhumée, et donc je respire parfaitement, et je n'ai pas mal aux yeux. Par contre, je suis fatiguée, mais fatiguée. J'ai l'impression d'être sous cortisone depuis quelque jours. Je n'ai aucune énergie pour rien faire (sortir faire les courses a été comme courir le marathon), et je dors les trois quarts du temps. Selon le Réseau National de Surveillance aérobiologique, la pollinisation du bouleau aurait commencé le 29 mars dans le nord de la France, ou même un peu avant. Et bien, je vous le confirme, c'est bien le cas, depuis le 25 mars, le bouleau est en pleine pollinisation, et "ne fait pas grève". Un mois passé dans le lit, c'est une forme nouvelle d'hibernation, mais printanière.

dimanche, octobre 12, 2008

Atropa, Guy Cassiers,

Atropa a été de loin la pièce que j'ai le plus apprécié du triptyque présenté par Guy Cassiers au Théâtre de la ville, mais c'est sans doute dû au fait qu'elle s'attache au sort des femmes en temps de guerre, et à leurs souffrances aux mains d'hommes cruels. En effet, Atropa nous montre Agamemnon entouré de ses victimes. Tout d'abord sa femme et sa fille, Clytemnestre et Iphigénie, puis Hélène, qui a servi de prétexte pour déclencher la guerre entre les Grecs et les Troyens, et enfin les Troyennes, Andromaque, Cassandre et Hécube. Ce dernier volet de la trilogie du pouvoir nous montre donc les atrocités commises au nom de la civilisation, l'auteur de la pièce, Tom Lannoye, faisant même reprendre à Agamemnon les discours de George Bush et de Donald Rumsfeld sur la guerre en Irak. Toutes les guerres se ressemblent, et rien n'a changé depuis les tragédies Grecques. La pièce est brutale, et même viscérale, d'une manière dont les deux autres pièces ne pouvaient l'être, les cinq héroïnes conjuguant leurs voix dans un cri déchirant de douleur. Car face à la logique implacable de la guerre qu'Agamemnon représente, ces cinq femmes opposent non seulement leur dignité, mais également leur courage, et leur profonde moralité.

mardi, octobre 07, 2008

Entre les murs, Laurent Cantet, 2008.

Les films français s'attachant à aborder les problèmes de la société actuelle sont trop rares pour qu'on puisse passer à côté d'Entre les murs, le dernier film de Laurent Cantet, qui après s'être penché sur la vie en usine, les angoisses du chômage, et le tourisme sexuel s'attaque à cet objet brûlant que représente l'école. Et l'on peut dire qu'il n'a pas raté son coup, car la palme d'or remise à Cannes a permis au film d'entrer dans la lumière et de lancer un débat sur l'avenir de l'éducation en France. Que l'on adore ou que l'on déteste le film, il faut reconnaître qu'il a fait couler beaucoup d'encre. Entre ceux qui pensent que le film est remarquable comme par exemple Thomas Sotinel dans le Monde et ceux qui trouvent que le film n'est qu'un ramassis de clichés, les opinions sont très tranchées et tendent parfois à oublier d'analyser le film pour ce qu'il est. 
Autant le dire d'emblée, je trouve que le professeur de français et héros du film est un mauvais professeur, car il tombe dans presque tous les pièges qui se présentent à lui. Il tombe dans le piège de l'affectif, ce qui l'entraîne sur un terrain miné où il ne peut qu'être perdant à la fin, et dans celui de vouloir trop improviser, tant et si bien qu'il finit par paraître mal préparé (notamment quand il admet en début d'année qu'il n'a pas encore choisi les oeuvres à faire étudier à ses élèves), qui sont à mon avis les erreurs de beaucoup de jeunes professeurs qui ne savent pas toujours quelle est la bonne attitude à avoir face aux élèves. Il paraît évident que ce professeur soit n'a pas de projet pédagogique, soit en a un qui est extrêmement flou, et que le film n'évite une conclusion qui sonne comme un amer constat d'échec. En effet, quand une élève vient l'aborder à la fin du dernier cours de l'année pour lui dire qu'elle n'a rien compris dans aucune matière, l'impuissance du professeur et son refus d'admettre son échec, ainsi que celui de tout un système, est flagrant. Cette faille au coeur du système, le désarroi de tant de professeurs déchirés entre des désirs contradictoires, y compris le mien pendant les quatre mois où j'ai enseigné dans un lycée du 19e arrondissement de Paris, sont présents tout au long du film. Comment trouver la bonne distance ? Comment parvenir à asseoir son autorité sans tomber dans l'autoritarisme ? Comment  construire une relation de confiance avec des adolescents qui résistent perpétuellement à tout et engagent souvent les professeurs dans un rapport de force où tout le monde est perdant au final ? Comment ne pas se laisser déstabiliser par la remise en cause perpétuelle de sa légitimité d'enseignant ? Comment réussir à transmettre son savoir et à faire progresser les élèves dans les meilleures conditions ? Comment ne pas se laisser envahir par la colère et le cynisme face aux murs de résistance présentés par les élèves ? Toutes ces questions sont dans le film, et ce n'est pas le moindre de ses mérites. Mais cependant, il ne faut pas oublier que ce n'est qu'un film avec des choix narratifs et filmiques qui ne permet que montrer qu'un aspect de la réalité, et le personnage de François Marin est loin d'être le professeur idéal que certains critiques et même le réalisateurs ont voulu faire le symbole. Ce qui m'intéresse dans ce personnage, c'est qu'il est pratiquement tout le montré sur le mode de l'imparfait, et que malgré sa volonté de bien faire il se trouve enfermé dans un système de pensée dont il n'arrive pas à sortir.
Par ailleurs, ce film d'une maîtrise remarquable dans sa mise en scène a aussi le mérite de nous présenter ce qu'est le chaos d'une classe avec ce que cela représente d'énergie vitale mais également de tensions et de violence latente. La caméra nous plonge dans la vie de cette classe, nous en montre les détails les plus infimes, filme les êtres au plus près, tout cela sans laisser une seule seconde l'impression de désordre ou d'absence de contrôle. Contrairement au personnage principal, Laurent Cantet maîtrise son sujet, pas l'école en soi, mais le réel. Filmer le réel, c'est bien l'art de Cantet. Capter des moments de vérité, la façon des corps de s'approprier l'espace, les rapports de force entre les êtres, la beauté et la laideur qui se cache en chacun de nous, utilisant pour ce fair la caméra comme chambre d'enregistrement.  Enfin de compte, Laurent Cantet a réalisé un grande ode optimiste sur le chaos de l'existence, une oeuvre en prise avec la réalité de notre société, une photographie d'un pays à un moment critique de son existence.

vendredi, octobre 03, 2008

Wolfskers, mise en scène de Guy Cassier, 2008

Trois hommes, enfermés dans des boîtes, enfermés dans leurs consciences. Trois dictateurs. Lénine, Hitler, Hirohito. Bien sûr ils ne se rencontreront jamais, ils ne feront que passer les uns à côté des autres. Sur la scène du théâtre de la ville, s'est ainsi déroulé un étrange spectacle montrant ces trois dictateurs, tous très différents, dans un moment d'intimité où il n'exercent pas le pouvoir, mais son plutôt prisonniers du pouvoir, et à la merci d'un entourage qui les manipule. Le malaise que l'on pouvait ressentir à la vision de la trilogie d'Alexandre Sokourov, qui a servie d'inspiration à cette pièce, est toujours présente. Car après tout, peut-on vraiment ressentir de la pitié, voire de la compassion, pour ces hommes qui ont conduit au massacre de millions d'autres hommes, de femmes et d'enfants ? Autant Hirohito peut attirer notre sympathie dans la mesure où ce n'est qu'un enfant incapable de vivre sa vie sans l'aide de ses serviteurs, passionné de botanique et de poésie, qui finit par se rendre compte des crimes auxquels il a participé, probablement sans s'en rendre compte puisque le pouvoir réel était aux mains de l'armée. Autant pour Lénine et surtout pour Hitler, j'ai trouvé plus difficile de pouvoir éprouver ne serait-ce que de la pitié pour ces personnages. Par contre, ce qui était passionnant, c'est le dispositif scénique avec l'utilisation d'images vidéos, de la musique et tout le travail purement plastique qui permet au réalisateur de dialoguer avec les films de Sokourov tout en gardant son originalité propre.

lundi, septembre 29, 2008

Mefisto for ever (Guy Cassier, 2008)

Je ne suis pas une grande consommatrice de théâtre, mais cette année j'ai décidé de m'y mettre grâce aux prix pour le moins très attractifs du théâtre de la ville. Or il se trouve que ce théâtre montre en ce moment un triptyque passionnant sur le pouvoir, mis en scène par Guy Cassier, un jeune metteur en scène Belge. La première partie de ce triptyque, Mefisto for ever, est une adaptation du roman de Klaus Mann, le fils de Thomas, Mefisto, et se penche sur la relation complexe entre l'art et le pouvoir. La pièce commence dans les années 30 à Berlin en plein montée au pouvoir d'Hitler et des Nazis, et nous montre une troupe de théâtre et son directeur répétant Hamlet. Dès l'annonce de la victoire d'Hitler aux élections, certains membres de la troupe décident de s'exiler, alors que le directeur et acteur Kurt Köppler décide de rester en Allemagne pour essayer de résister de l'intérieur au nouveau régime. Est-il possible de s'opposer à une dictature au moyen de l'art et de la beauté : voilà donc la question que pose la pièce. La question m'apparaît quelque peu biaisée puisque la réponse semble d'avance être négative. En effet, on sait bien que face à un tel régime, un régime totalitaire qui plus est, l'artiste ne peux pas résister de l'intérieur, puisque la séduction que représente le pouvoir politique finit par corrompre lentement l'artiste en l'entraînant de plus en plus profondément dans l'abîme de la collaboration. Tout au long de la pièce, les artistes répètent différentes oeuvres classiques, telles qu'Hamlet, Richard III, Roméo et Juliette, la Cerisaie et bien entendu le Faust de Goethe qui a rendu célèbre le personnage principal de la pièce, et qui sert de métaphore au destin de cet acteur. La problématique n'a franchement rien  de nouveau à mon avis, dans la mesure où le théâtre s'est attaché à représenter le pouvoir depuis son origine, mais la pièce n'en était pas moins magnifique. Ce qui m'a surtout impressionnée, c'est la beauté purement visuelle du dispositif scénique avec l'utilisation d'images vidéos qui apportaient une dimension cinématographique à la pièce, notamment en ce qui concernait le jeu des acteurs.

samedi, septembre 20, 2008

Une relation mystérieuse

La relation entre un lecteur et un écrivain reste pour moi un mystère. Car quoi de plus intime que ce lien fragile qui nous relie à l'oeuvre d'une personne qui nous est non seulement totalement étrangère, séparés que nous sommes par la langue, la culture, et souvent par la géographie, mais qui peut également être morte, parfois depuis des siècles. Et pourtant nous continuons à lire Shakespeare, les auteurs des lumières, les poètes romantiques, les romanciers du XIXe siècle et les écrivains modernistes. Mais ce qui est sûr, c'est que chaque lecteur a ses préférences et ses anathèmes, ses favoris qu'il lit et relit sans cesse, et ses aversions. 
Pourquoi aime-t-on tel auteur et non tel autre ? Voilà une question que je me pose sans cesse, étant moi-même parfois très changeante dans mes affections littéraires. Il y a quelques années, j'ai dû étudier "The Mill on the Floss" de George Eliot dans le cadre de mes études. Qu'est-ce que j'ai pu détesté ce roman, qui me paraissait un sommet de moralisme victorien et d'ennui, les deux idées étant conjointes dans mon esprit. Or, il se trouve qu'il y a quelques semaines j'ai décidé de me plonger dans un autre roman du même auteur, Middlemarch, afin de me familiariser avec l'écriture féminine au XIXe siècle. Et là soudain, j'ai eu une révélation: j'ai adoré le roman, et son auteur. Pour moi, George Eliot représente même un sommet de la littérature mondiale, au même niveau que Tolstoi ou Victor Hugo. Mais le plus bizarre est le même phénomène s'est récemment produit avec "Jane Eyre", et avec "A Multiplicity of Sins" de Richard Ford, deux livres que j'avais lus dans le passé et détestés, et qui désormais me semblent merveilleux et passionnants. Pourquoi ces changements d'opinion ? Franchement, je n'en ai aucune idée. Cela doit être l'âge, ou l'expérience...