Je suis dans l'Eurostar pour Londres, et le train vient de quitter la proche banlieue pour avancer plus au nord, à travers les plaines et les champs du bassin parisien. Quand on demandait à François Mitterrand de quelle couleur était la France selon lui, il répondait qu'elle était grise. Mais personnellement, elle me semble plutôt vert émeraude, tachetée de reflets jaunes, briques et bruns. Prendre le train est tellement plus une aventure que l'avion, parce qu'en avion on ne fait que survoler le monde, alors qu'en train on le pénètre. On a le temps d'observer les changements des couleurs, les morphologies des paysages, l'exploitation des ressources naturelles.
Quand je regarde les paysages défilant sous mes yeux, la France me donne le sentiment d'être petite et jolie. Avec ses charmantes petites maisons aux toits en ardoise noires comme le jais ou en briques vermillon. D'une grande douceur. Toujours jolie malgré son grand âge, une vieille dame aux allures de jeune fille, comme si le temps n'avait pas de prise. Et pourtant dans ce pays aux paysages si paisibles tant de guerres, de révoltes et autres révolutions se sont produites au cours de sa longue histoire. Entre continuité et rupture, le flux de l'existence de cette vieille dame a connu bien des variations, bien des dissonances venant troubler l'harmonie de ses contours. Cette harmonie et cette douceur se retrouve dans l'architecture française, notamment à son apogée de l'âge classique, de ce qu'on appelle le siècle de Louis XIV. On ne retrouve pas dans cette architecture la tentative du grandiose et de la démesure qu'on l'on peut voir dans d'autres pays comme l'Angleterre. Non, l'esprit français se caractérise par une recherche constante d'une élégance toute cartésienne, faite de rigueur et de mesure. Versailles en est l'exemple type, un palais royal qui garde le nom de château, comme par modestie. C'est toute la différence entre Louis XIV et Napoléon III, entre le château royal et le palais de l'empire ou de la république. Rien de lourd, de vulgaire, mais une splendeur toute raisonnable, réfléchie, et rigoureuse. Luxe, calme et volupté, comme dirait Beaudelaire. C'est au fond un idéal bien français, qui attire tant de personnes du monde entier. Imité bien qu'inimitable, Versailles se dresse comme une incarnation de la pensée cartésienne, dominant la nature inhospitalière des marais pour créer un miracle de pierre, d'eaux et de verdure. Dominer la nature, l'arraisonner pour en extraire un triomphe de la pensée française. C'est peut-être le legs de la France au monde, l'amour de la pensée, mais une pensée légère...